« Je ne sais pas ce qui m’arrive »

Alicia dédia au pauvre garçon un regard désolé et compréhensif. Bien sûr que non il ne savait pas – elle non plus n’en avait aucune idée, et eut-elle eu un peu plus de jugeotte dans le crâne, elle serait probablement dans le même état d’hébétude et de frayeur que lui. Mais Alicia détestait l’incertitude, et n’avait jamais eu peur de braver l’inconnu. Il semblait qu’elle-même et d’autres personnes aient subi ce qui ressemblait à une mutation, une mutation animale et irrésistible. Elle n’avait aucune explication à fournir à ce phénomène, et si elle avait pu en avoir une, elle en aurait été ravie. Mais le fait était qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’il se passait, et que personne, probablement, n’en savait rien non plus. Il était donc inutile de paniquer. S’ils devaient savoir, ils sauraient bien un jour. En attendant, il fallait apprendre à vivre avec, et apprivoiser le phénomène. Elle avait réussi, acceptait cette chose et ce qu’elle impliquait. Elle le vivait pleinement. Ce jeune homme en face d’elle n’avait pas encore franchi cette étape. Peut-être qu’elle pourrait l’y aider. Elle sourit, se réjouissant d’avance d’avoir trouvé un compagnon de jeu, mais l’arrivée de Nicholas Sanderson brisa la magie du moment. Elle laissa échapper un grognement déçu. L’informaticien avec qui elle avait déjà travaillé quelques fois par le passé n’était pas un des leurs, elle le sentait. En revanche, il lui vint soudain à l’esprit qu’il avait l’air appétissant. Curieuse, le détaillant des yeux, son regard insistant allait finir par paraître suspicieux quand une autre odeur – bien plus désagréable – lui fit froncer le nez. Un mélange curieux d’eau de cologne et de… pourriture fut le premier mot qui lui vint à l’esprit. Elle ne put retenir une grimace et, à en juger par la tête de son nouvel ami lupin, elle n’était pas la seule à souffrir de cette abominable odeur. Tournant la tête d’un air agacé, prête à envoyer paître le responsable et en lui demandant fort aimablement de bien vouloir aller à l’autre bout de la salle et y rester pour la soirée, elle tomba des nues en voyant Frederick arriver vers eux et les saluer. Après un bref instant d’hésitation, elle lança un nouveau regard à Will Graham – c’était donc lui, l’agent du FBI dont Frederick lui avait parlé ? – et, constatant l’animosité ambiance, décida de vaincre son dégoût (sérieusement, cette odeur putride allait finir par la rendre malade) et passa son bras sous celui de son meilleur ami en lui dédiant un sourire radieux, ses yeux ambrés brillant d’une étrange lueur.

« J’espère bien, je suis venue exprès pour toi, moi. Frederick, je te présente Nicholas Sanderson, informaticien au FBI. Une connaissance de Mr Graham, si je comprends bien. Nicholas, Dr Frederick Chilton. »

Elle jeta un dernier regard à Nicholas – son odeur à lui était bien plus alléchante – et, profitant d’un moment d’inattention générale, esquissa un sourire et glissa à l’oreille de son acolyte, en relevant la manche de sa robe pour révéler le pelage blond et blanc qui poussait :

« Toi qui aimes les cas farfelus, regarde ça. » Elle rabaissa la manche, peu désireuse d’attirer trop d’attention… pour le moment. « Je crois que Will Graham a le même problème. Tu m’as déjà parlé de lycanthropie clinique, mais je ne pensais pas qu’il y avait aussi des symptômes phys… »

Ayant relevé les yeux sur Frederick, elle s’interrompit en plein milieu de sa phrase pour scruter son visage des yeux, sourcils froncés.

« Fred ? Depuis quand tu mets du fond de teint… ? » Elle allait ajouter ‘ailleurs que sur ta cicatrice’, mais se rappela à temps de la présence de Nicholas. « Et sérieusement, qu’est-ce que c’est que cette odeur ? On dirait que t’as passé un après-midi entier à la morgue ! » ajouta-t-elle un ton plus bas, ne pouvant plus continuer la discussion en apnée, avant de les regarder alternativement, lui et Nicholas. « Ou bien on est tous devenus fous, ou on a un sérieux problème. »