Au commentaire dédaigneux de Crowley, Lucifer lâcha un rire rauque, amusé sans l’être réellement. Une ombre passa dans son regard, si fugitive qu’on aurait pu croire l’avoir imaginé, mais ses poings s’étaient légèrement resserrés à ses côtés, et sa bouche se plissa en une fine ligne. Trouvé ? Comme s’il avait eu le loisir de parcourir la Terre pour s’arrêter face à un humain et dire « c’est celui-là que je veux ». Non, il n’avait pas eu ce luxe, enfermé dans sa prison infernale. C’était Azazel qui, sous ses ordres, avait choisi et sélectionné plusieurs enfants qui avaient le potentiel pour devenir les réceptacles de l’Archange, mais ultimement, la décision ne venait pas de lui non plus. C’était inscrit dans les gènes des frères Winchester depuis toujours, comme cela avait été le cas d’Abel et Caïn avant eux. L’histoire se répétait ; les frères étaient voués à s’entretuer.
« Si tu as des réclamations à faire à ce sujet, je crains qu’il ne faille les adresser à plus haut que moi. »
Et tous deux savaient parfaitement que plus haut que Lucifer et Michael ne pouvait signifier qu’une seule chose. Il adressa au démon un sourire glacé, mais il n’y avait aucune joie dans son regard. Pourtant, s’il était parfait honnête, il était plutôt satisfait de la situation : après tout, la vie de Sam Winchester offrait un parfait parallèle à la sienne, et il n’avait pas à simuler la sympathie qu’il éprouvait pour lui. Il comprenait. Dean était moins réfléchi, plus impulsif, à l’instar de son propre frère. Oui leurs différences reflétaient bien celles qui l’opposaient à son aîné. Douce ironie, cruelle ironie. Qu’est-ce que leur Père pouvait bien essayer de leur faire comprendre de cette façon ?
Mais le visible mépris du démon à l’égard des Winchesters n’avait quant à lui rien d’étonnant : le sentiment était certainement réciproque. Ruby avait été particulièrement habile en prenant Sam dans ses filets, il devait bien l’admettre. Il regrettait presque sa mort ; elle lui aurait certainement été très utile.
Son sourire se fit à nouveau plus prédateur lorsqu’il nota le frisson qui parcourut l’échine de Crowley. Oh, comme il aimait faire son petit effet. Surtout sur quelqu’un qui n’avait clairement pas l’habitude d’être en position d’infériorité… et haïssait cela avec chaque fibre de son corps. Il aurait sûrement pu s’en amuser longtemps, mais l’heure n’était pas vraiment à ce genre de choses. Si l’autre homme s’efforçait de se faire discret et de dissimuler tout sentiment négatif à son égard, son aura entière irradiait d’indignation et de colère mal contenue. Une véritable bombe à retardement, qui n’avait clairement qu’une envie : le faire tomber avec lui lorsque l’explosion aurait lieu. Et dans un sens, il pouvait presque le comprendre. Cela ne le rendit pas vraiment plus compatissant. La compassion était une chose dont on n’avait jamais fait preuve à son égard non plus, pourquoi en aurait-il pour les autres ? Il était un Archange, et il était légitime qu’il réclame ce qui lui était dû. Ceux qui n’étaient pas d’accord étaient tout invités à aller mordre la poussière.
La contenance de Crowley retrouvée, Lucifer ne manqua pas de noter avec intérêt la manière passive-agressive dont il se soumettait à son ordre déguisé… tout en lui faisant savoir que personne ne faisait ployer le démon. Son attitude repris un peu d’assurance, se faisant plus effrontée, plus défiante. Testait-il déjà ses limites ? Il jouait à un jeu dangereux, mais semblait décidé à affirmer son libre-arbitre. Le message était clair : je le fais parce que je le veux bien, pas parce que tu me le demandes. Ce n’était qu’une belle mascarade, et ils le savaient tous deux. Il aurait pu le tuer sur-le-champ, et il n’y aurait plus rien eu à négocier. Il se serait peut-être retiré une épine du pied, en vérité. Mais du moment que les choses allaient dans son sens, il se fichait bien de savoir sous quels termes.
Un rire riche, franc cette fois s’échappa de ses lèvres lorsque Crowley posa ses conditions.
« Une vierge, vraiment ? Je ne peux pas croire que tu aies du mal à t’en procurer tout seul avec ce corps de rêve. » Moqueur, encore une fois, mais amusé. « Très bien, je la choisirai personnellement pour m’assurer qu’elle soit à ton goût. »
Trempant enfin les lèvres dans son verre de whisky, il savoura les riches saveurs déposées sur son palais, encore peu habitué à éprouver les choses d’une façon aussi… humaine, et après une courte pause, ajouta :
« Empaille-le à la vue de tous. Certains avertissements sont plus efficaces que d’autres. »